top of page

Sophie Calle : saisir la vie

jrigondet

A propos de la vidéo « Pas pu saisir la mort », vue lors de l’exposition « A toi de faire ma mignonne », musée Picasso.


L’exposition est terminée depuis deux semaines. Je voudrais juste m’arrêter sur un regard, un geste, une intention. Au sujet d’une vidéo dont j’avais entendu parler et que j’avais eu le tort d’écarter d’emblée, de juger même sans l’avoir vue, en me fiant à ce que j’en lisais, aux paroles d’autres spectateurs ou de gens qui avaient entendu que.  Je parle de la vidéo « Pas pu saisir la mort », montrée pour la première fois à la Biennale de Venise en 2007. Le titre, seul, que je ne connais que maintenant, ne m’aurait pas fait changer d’avis.


Ce que j’avais entendu/retenu de cette œuvre : une caméra posée au pied du lit de sa mère à l’agonie, jusqu’à sa mort ; filmer, donc, l’arrivée de la mort sur sa mère. J’imaginais un lit d’hôpital avec tout l’attirail que l’on connaît, un corps décharné, piqué, tuyauté, quelqu'un filmé à son insu sans plus pouvoir dire oui ou non, la progression filmée de la fin de cette vie… Non merci.

 

J’ai finalement découvert cette vidéo par hasard, en tout cas sans m’attendre à la voir, lors de la dernière exposition de Sophie Calle à Paris : « A toi de faire ma mignonne », au musée Picasso. Derrière un très léger rideau de voile, quelques bancs devant un écran vidéo. J’ai vite compris que c’était ça. Et dès les premières images aperçues de la porte, j’ai voulu m'assoir pour tout voir. Parce que la douceur des gestes de la fille, qui pose délicatement sa main sur la joue ou les cheveux de sa mère, pour de dernières caresses, pour dire l’amour, pour chasser la peur ? Parce que le dos de cette main qui vérifie que le pouls, dans le cou, bat encore. Parce que le gros plan sur visage de Rachel, la mère, montre un beau visage, sans trace de souffrance. Elle est coiffée, dans son lit, apparemment chez elle, une petite vache en peluche vautrée sur son ventre – c’était son animal préféré; ce détail tendre et drôle point le cœur.

 

D’autres mains s’affairent autour de la mourante, aussi douces et respectueuses. Le silence auquel on veille l’est tout autant : on ne perçoit que le froissement des vêtements de ceux qui circulent autour du lit, l’éventuel grincement d’une chaise ou d’une porte, des chuchotements peut-être, même si on a le sentiment que ceux qui sont là se comprennent sans parler.

Jusqu’à ce que l’on devine que ces sortes d’anges gardiens perçoivent quelque chose de différent. Des doigts se posent à nouveau, délicatement, sur les côtés du cou. Les mains d’une silhouette habillée d'une blouse blanche soulèvent avec précaution le draps pour saisir le poignet de Rachel et tâter son pouls. Puis on sent un échange de regard entre ceux dont on ne voit que les mains, les bras, les dos, parfois un profil. Le drap est replacé avec soin, la petite vache remise là où elle était, la main de la fille caresse les cheveux de sa mère, la femme en blanc s’agenouille près du lit, face à nous, et joint ses mains en prière avant de se décaler légèrement parce qu'elle se souvient de la caméra…

C’est fini.

 

Ce n’est pas l’approche de la mort qui est filmée, pas une femme mourante. Ce sont les derniers instants d’une vivante. La vie, filmée jusqu’à son bout. La vie de la mère saisie pour toujours.

 

Peu ont fait comme moi ce jour-là. En comprenant de quoi il s’agissait, la plupart des visiteurs refermaient aussitôt le rideau et repartaient. « Non merci. » Moi cette vidéo je l’ai regardée deux fois. J’aurais pu rester plus. Elle m’a fait du bien.

Merci.



104 vues0 commentaire

Comments


bottom of page