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"On était des loups" de Sandrine Collette (JC Lattès, 2022)

jrigondet

Dernière mise à jour : 16 août 2023

Devenir père, ou/et devenir un humain, telle est la question dans ce beau roman de Sandrine Collette, qui nous embarque dans une longue marche au cœur d’une nature enneigée et sauvage.


Sandrine Collette raconte souvent qu’elle ignorait elle-même avoir écrit un « roman noir » lorsqu’elle a présenté le manuscrit qui allait devenir son premier roman, publié chez Lattès ; c’est l’éditrice qui le lui a appris en la félicitant. Depuis, aucun de ses livres n’a franchi les limites de ce classement, au risque de faire passer à côté de son œuvre les lecteurs qui ne sont pas amateurs de ce type de littérature.


Je suis entrée dans l’univers de Sandrine Collette à l’automne dernier, en lisant son roman On était des loups. Ce titre m’intriguait, et je le trouvais beau, comme le sont beaucoup des titres de ses précédents livres : Et toujours les forêts, Ces orages-là, Un vent de cendres

Ce que j’y ai découvert n’est pas ce que je pensais trouver dans un « roman noir », catégorie qui, pensais-je, privilégiait avant tout des effets de suspense et de terreur, cherchant à susciter des émotions parfois faciles dont on n’est pas toujours fiers (fascination pour le drame, la méchanceté, la violence…).


Ce qui m’a plu d’emblée, c’est la force et la justesse de la voix du personnage principal (et narrateur), un trappeur qui a fui depuis longtemps la société des humains et qui, au retour d’un de ses séjours de chasse (on est dans un lieu qui ressemble au Grand Nord, sauvage, sous la neige), découvre sa compagne morte, tuée par un ours. Non loin, caché, leur enfant de cinq ans, encore en vie, n’a plus que lui pour le protéger. Mais cet homme ne sait que faire d’un enfant. C’était elle, celle qu’il aimait, qui l’a rejoint dans sa retraite solitaire et qu’il vient de perdre, qui en a voulu.


En refermant ce livre, touchée par la force de ce récit, la poésie de l’écriture de Sandrine Collette et ce qu’elle réussit à nous restituer de notre proximité avec la nature (« on était des loups »), il m’a semblé que ce roman répondait à cette question : comment devenir père, parent ? Ou/et encore : comment devenir humain ? Mais encore : comment trouver encore de l’amour à donner lorsqu’on a perdu celle ou celui qu’on aimait plus que tout ?

La réponse n’est pas noire. Mais le chemin est escarpé.


Un extrait :

« En vrai c’est la lueur éperdue dans ses yeux bleus qui me rend dingue, cette lueur qui me cherche simplement pour s’accrocher à moi, pour que j’ouvre une brèche une possibilité la largeur de mes bras et cette quête-là, cette prière muette je n’y arrive pas il peut toujours rêver. La seule chose qu’il me demande le gosse c’est un peu de tendresse un truc comme ça. Il ne le dit pas, c’est invisible sauf que c’est tellement là que l’air en frissonne, et je sens les vibrations vers moi que je repousse d’un geste de la main et je voudrais lui dire que ce n’est pas la peine, la tendresse je n’en ai pas du tout ou pas pour lui, on n’est plus que deux et ce n’est pas pour ça que je vais me rabattre sur lui. On avait un équilibre à trois Ava lui et moi, et ça a l’air bancal à trois mais on était faits comme ça et ça marchait bien. […] Ava c’était le lien qui nous manque, c’était l’eau entre la fleur et la terre. S’il y a plus d’eau la fleur se flétrit et la terre se dessèche et c’est l’impression que j’ai, m’effriter un peu, je pars en lambeaux en petits morceaux de tristesse et je n’ai rien à offrir au môme. »


Je ne peux pas m’empêcher de remarquer ici l’usage singulier (et parcimonieux) de la ponctuation : on est, du premier au dernier mot, dans la pensée de cet homme, le cheminement de cet esprit en deuil, ses variations de rythme. Parfois l’émotion est si forte qu’elle gomme les virgules.


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