« J’avais un frère fragile. » L’incipit du dernier récit de Jérôme Garcin poigne immédiatement le cœur, par cette confidence comme par l’usage de l’imparfait pour évoquer son cadet, mort du coronavirus en 2021. Laurent était un de ces hommes qui traversent la vie sans faire de bruit, « sa vieille sacoche élimée tenue en bandoulière à la manière d’un bouclier », sirotant des menthes à l’eau à la terrasse d’un café depuis laquelle il « regardait passer les filles » ; un homme qui, remarque son aîné, ne semblait « pas destiné à l’âge adulte », lequel « ne l’avait pas ménagé ». Un grand garçon de 54 ans qu’un invisible mais « insécable cordon ombilical reliait à sa mère » dont il est resté jusqu’au bout « le beau, le terrible, l’irrésistible souci ». Un de ceux qui a peut-être préféré partir plutôt que de retrouver ce « calvaire que la société normée impose aux différents, aux déficients, aux discordants, aux fragiles. » Partir, pour quitter un monde rendu plus inhabitable encore depuis la mort de sa mère, en dépit de l’affection de ses frère et sœur qui avaient pris le relai maternel.
En l’espace de six mois, Jérôme Garcin a vu mourir sa mère puis son frère cadet, l’enfant « fragile » de la fratrie. Pour celui qui a perdu son jumeau, fauché par une voiture, sous ses yeux, à l’âge de six ans, puis son père, mort d’un accident de cheval quelques années plus tard, « c’était trop. Trop vite. Trop tôt. » Quelques mois plus tard il se sent chez lui, au cœur de l’été, « comme un étranger sur une terre inconnue », et poursuit le dialogue avec ses « fragiles » disparus, ou plutôt choisit de nous les présenter, pour les remettre au monde.
Écrire pour trouver la paix, peut-être, lorsque la mort vous a pris ceux que vous aimiez. Pour essayer de respirer en dépit un destin qui semble s’acharner. Continuer à choyer ces aimés malmenés et à jamais perdus. Poursuivre avec eux le dialogue.
« Je ne crois pas au Dieu tout-puissant […]. Mais plus le temps passe et plus je crois en la présence des morts. Ils sont là. Leur âme demeure, plane et s’obstine. Ils s’annoncent souvent entre chien et loup, dans la lumière tamisée de petit matin ou de fin du jour, dans un pépiement têtu, une fragrance indistincte, […] la traînée blanche d’un avion, sous le sabot d’un cheval, près d’un muret en pierres, au cœur battant d’une forêt de pins maritimes. Je leur parle, en silence, depuis si longtemps. C’est une compagnie invisible, heureuse et bienfaisante. »
Un beau livre sur la perte, l’absence, le vide et le plein de l’expérience du deuil.
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