"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience" (René Char)
Vous vous souvenez, ce n’est pas si loin : la pandémie de Covid et sa nouveauté, son ampleur au printemps 2020, la vitesse à laquelle elle progressait, les réponses inédites, les peurs, les suspicions et la sidération que tout cela causait ? Puis l’irruption des bêtes sauvages dans la ville ou aux abords des maisons de villages, lors du premier confinement ? Mais encore les chevaux mystérieusement mutilés, vers la même période ?
L’écriture se nourrit de tout, consciemment ou non ; le réel, l’actualité en font partie. Et je ne peux m’empêcher de penser que ces événements récents ont nourri l’écriture de ce film étonnant, entre thriller, drame psychologique et fable philosophique.
Une mutation génétique transforme des humains en bêtes sauvages. Des écailles poussent sur la peau de certains, des griffes percent le bout des doigts des autres, dont le dos se couvre de poils drus ; des crocs remplacent des dents, les mots articulés sont peu à peu oubliés et remplacés par des rugissements ou des cris d’oiseaux… Et le monde des humains se scinde désormais en deux catégories : les normaux et les « créatures » – dits aussi « monstres », « bestioles », ou, pour les plus compréhensifs des commentateurs, « victimes ».
Que faire d’eux ? La médecine est dépassée par la nouveauté de ce mal, elle ne sait le guérir et peut seulement essayer de contenir ses « victimes », expérimenter des traitements sur eux, les observer, les attacher si besoin, les enfermer en tout cas, dans des « centres », pour limiter le désordre et les dangers possibles pour le reste de la population. Les garder hors de la vue pour permettre aux autres de continuer à vivre presque comme si ce mal n’existait pas, ne les menaçait pas. Oublier que personne n’en est à l’abris.
Seulement, ces femmes, ces hommes, ces enfants, devenus « créatures » ou « bestioles » pour l’opinion, sont aussi des mères, des pères, des fils, des filles, des époux, des frères, des sœurs… Séparés de force de ceux qu’ils aimaient, lorsque ceux-ci n’ont pas réussi, ou pas osé les cacher. Et ceux-ci ne les ont pas oubliés, ils espèrent encore qu’une guérison sera possible un jour, ou du moins des retrouvailles, pour continuer à vivre ensemble, si les autorités médicales et politiques le veulent bien… Si la majorité des chanceux qui ont échappé à cette transformation accepte mieux de voir ce qui les lie encore à ces « autres », et qui rend possible l’échange, l’entraide, le respect, l’amour, la confiance ; une vie dans un même monde.
Impossible pour moi de ne pas penser aussi à cette question débattue par les « aliénistes » français à la fin du XIXe siècle : que faire des « fous » ? Y avait-il une autre solution que de les garder reclus dans des asiles ? Était-il pensable de permettre à ceux qui n’étaient dangereux ni pour les autres ni pour eux-mêmes de rejoindre le monde et de vivre parmi les « normaux » ?
« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience » : cette belle phrase de René Char, citée deux fois par le personnage que joue Romain Duris, mari d’une « bestiole » qui se cache dans la forêt, résume bien le message de ce film.
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