Un atelier d’écriture de trois jours à l’Institut des travailleurs sociaux de Montrouge, une découverte pour les étudiants, qui ont merveilleusement joué le jeu malgré leur appréhension première.
Ils étaient 13 : Moussa, Beimer, Lou, Valérie, Lucie, Méryl, Nohémie, Miha, Suzanne, Bénédicte, Léane, Liloo, Julie. 13 à se retrouver dans une salle avec moi pour trois jours, sans me connaître, sans se connaître, pour expérimenter « l’atelier d’écriture » en se demandant bien de quoi il s’agissait.
L’institut dans lequel ils font leur rentrée, l’IRTS, qui forme les travailleurs sociaux qu’ils deviendront, a choisi cela, sous la houlette de Marie Haloux, une de leur enseignante, pour démarrer cette formation qu’ils ont tous choisie avec conviction. Pour les aider à faire connaissance, les inviter à l’écoute, à l’accueil de l’autre, en les incitant à se jeter dans un bain dont l’approche fait frissonner beaucoup d’entre eux : celui de l’écriture. L’écriture sera importante dans leur travail, les prévient Mahmadou, formateur des futurs éducateurs spécialisés. Elle leur permettra de réfléchir, de constater, de transmettre des comptes rendus à d’autres acteurs clés dans les trajectoires des personnes qu’ils accompagneront, « une virgule mal placée peut changer le sens de votre texte et le sort de quelqu’un ».
C’est vrai, mais pour ces trois journées de découverte il ne sera pas question du bon usage de la ponctuation ni d’orthographe ou de grammaire, et je vois, lorsque je les en préviens, une légère détente dans la posture et le visage anxieux de certains. Car beaucoup le disent : l’écriture à l’école, ça n’a pas été une partie de plaisir, d’autant que près de la moitié d’entre eux disent avoir été, comme leur professeur Mahmadou, qui s’en est confié pour les mettre à l’aise, dyslexiques, trouble de lecture et de l’écriture qui a longtemps été peu détecté et mal accompagné à l’école. Certaines et certains disent aimer lire, « mais moins écrire »… D’autres sont encore terrorisés par l’exigence de la langue française, qu’ils ont parfois apprise tard, car venant d’ailleurs.
Malgré cette appréhension, malgré la peur de faire voir au dehors, à des inconnus, un peu de ce qui est dedans bien caché (évoquer un souvenir d’apprentissage, parler d’un objet auquel on tient, « Madame, c’est intime »…), ils ont joué le jeu à fond et dès les premières minutes, concentrés, appliqués. Car ils ont choisi d’être ici, ils ont été choisis par l’Institut et ont la ferme volonté d’y faire leurs preuves, y compris en se laissant parfois embarquer sur des chemins imprévus.
Ils ont tout de suite retenu, en s’en emparant avec joie, que dans ce genre d’écriture auquel je les conviais il n’y avait pas d’introduction, pas de plan, que les personnages, pour être justes, ne devaient pas parler comme des livres (sauf s’ils parlaient vraiment comme des livres). Et ils m’ont épatée. Par leur courage : car non, je le sais moi aussi, ce n’est pas facile de lire tout haut un texte qu’on vient d’écrire, et qui parfois contient des choses qu’on tait. Pas facile de se lancer tête baissée dans une matière inconnue et aussi périlleuse que celle-ci, faite de mots, de sensibilité, à l’ombre des « grands auteurs ».
Ils m’ont épatée très vite par la force de leurs textes, qui même lorsqu’ils imaginaient les pensées d’une personne à qui ils pourraient avoir à venir en aide : enfant battu ou abusé, homme à la rue, femme maltraitée, toxicomane, jeune fille violée, détenu de longue date à l’aube de ses retrouvailles avec le monde, réfugié dans un pays dont il ne parle pas la langue… venaient de leurs tripes, à me donner le frisson, tant cela me parlait vrai.
Ils m’ont épatée aussi car ils savent et aiment faire une chose que j’ai encore beaucoup de mal à faire : travailler, écrire en équipe. Rien ne les enthousiasmait tant, alors que je me demandais comment, en 10 mn, un texte pourrait être écrit à quatre, parfois même à plus. Mais les mots venaient facilement, et pas sous la plume d’un seul : chacun apportait de l’eau au moulin et était entendu, la forme même du texte était à chaque fois inventive…
Valérie, Nohémie, Miha, Lucie, Bénédicte, Suzanne, Julie, Méryl, Beimer, Lillo, Moussa, Léane, Lou, vous auriez bien aimé continuer, moi aussi. Vous me donnez envie de chercher un moyen de rendre les ateliers d’écriture accessibles à tous, je vais y réfléchir à ma (toute) petite échelle.
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