Le Goût de la trahison, roman de Stéphanie Chaillou (Notabilia), explore à la loupe et au scalpel un coup de foudre amical, l’amitié fusionnelle et a priori inlassable qui s’ensuit, jusqu’au désamour subit qui sonne sa fin brutale.
Le titre est trompeur. Pas de « goût de la trahison » chez les protagonistes de ce joli roman mais plutôt, pour l’un d’eux – Marc –, le plus grand chagrin d’amitié qu’il ait eu – ce sont aussi des chagrins d’amour. Et pour l’autre, prénommé Paul, un engouement subit, profond, passionné pour Marc, allant jusqu’au lien fusionnel avant de se muer brutalement en agacement, déception et pur désamour. Pourquoi ? on ne le saura pas. Quelques éléments sont semés, sans plus, sans être mentionnés comme tels mais que le lecteur remarque : un frère perdu, peut-être, pour Paul, un frère jamais eu, peut-être, pour Marc.
On n’a pas besoin d’ailleurs d’avoir une explication à ce feu de paille amical, c’est ainsi ; n’avons pas tous connu ce type de situations ? Cela est arrivé à Paul, visiblement, bien d’autres fois : Claire, son épouse le sait, observant, accompagnant depuis les premiers instants l’évolution de cette amitié passionnée entre les deux hommes tout en en devinant l’issue ; Claire attend patiemment que Paul lui revienne, tandis qu’Hélène assiste, impuissante, à la captation de Marc, pour qui elle semble être devenue une étrangère.
Paul sait qu’il est ainsi, qu’il a déjà vécu des histoires semblables, mais il ne peut rien pour l’empêcher : « Cette mécanique, Paul Delacroix la reconnaissait. Il savait aussi qu’il ne la maîtrisait pas. Il avait beau se raisonner, tenter de retarder le processus, il n’y parvenait pas. Un jour brutalement, il ne supportait plus l’autre. Quel qu’il fût. […] Les attributs qui l’avaient d’abord charmé chez lui ou chez elle – un timbre de voix, une façon de bouger, un vocabulaire, une manière de penser – devenaient l’objet même de son courroux. »
Un jour en effet, « Paul s’était lassé. » Sans savoir lui-même pourquoi. Il est là avec Marc sans plus y être tout à fait. Lâche une remarque apparemment anodine qui a sur son ami un effet déjà dévastateur. Marc est déstabilisé, devient inquiet, irritable, maladroit, idiot. Il se transforme au fur et à mesure que se transforme le regard de son ami sur lui. Un événement lui aussi en apparence anodin achève de rompre, pour Paul, ce lien auparavant si fort, et la rupture silencieuse qui s’ensuit plonge Marc dans les abysses du désespoir et d’une solitude jamais éprouvés.
C’est une exploration psychologique très réussie, dans une forme épurée et dynamique qui nous fait passer du point de vue d’un personnage à un autre, dans un huis clos qui se joue à quatre, avec des chapitres courts et des titres de parties qui fonctionnent comme la voix off de certains films de François Truffaut : « Étrangement, c’est le tennis qui les avait réunis » ; « Le samedi matin, ils se retrouvaient à l’entrainement » ; « Les mois passaient » ; « Puis tout avait basculé »…
Le Goût de la trahison, Stéphanie Chaillou, Notabilia, mars 2024
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